Éléa m’a contacté début Février pour un travail à faire sur l’agoraphobie et les phobies sociales. Elle souhaitait faire une interview, prendre contact avec des personnes qui vivent cette anxiété – mais au vu du temps demandé pour pouvoir rencontrer ces derniers, nous n’avons pu faire qu’une petite interview par téléphone. Je mets ici son travail, pour avoir une nouvelle vision du sujet, il y a quelques coquilles d’informations, mais je suis globalement d’accord avec ce résumé…
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Quel est le point commun entre une queue à la caisse du supermarché et une route entourée de rambardes ? Entre se trouver seul dans un pré désert et un soin chez le dentiste ?
A priori, difficile à dire.
Ces situations se ressemblent pourtant. Ce sont des lieux desquels on ne peut s’échapper aisément. Où l’on peut se sentir prisonnier, ou simplement, seul.
Des lieux qui représentent un calvaire pour les personnes atteintes d’agoraphobie.
Catherine Hamelle a connu trente ans d’agoraphobie de 1969 à 1999. De son expérience, elle a tirée un livre, Une prison sans murs, comment j’ai vaincu mon agoraphobie ! « J’étais incapable de prendre le bus, le métro, la voiture. La plupart de mes déplacements étaient impossibles, mon périmètre de liberté était extrêmement réduit. Je me sentais en totale insécurité en dehors de ma maison » explique t-elle.
Coupe au carré blonde, Catherine est aujourd’hui réflexologue, à 68 ans. Elle se dit totalement guérie, à part « quelques bricoles » qui la dérangent encore. En tant qu’ex-agoraphobe, elle veut apporter un message d’espoir et aider les personnes souffrant d’agoraphobie, « non par devoir mais par plaisir. Il faut donner les bonnes clés pour ouvrir les serrures de prison ».
L’agoraphobie n’est pas la peur de la foule comme on a l’habitude de le considérer. « C’est la peur de faire une attaque de panique dans un lieu dont on ne peut sortir librement » résume le Dr Bruno Boutges. Une peur de la peur. Peur de mourir. Peur de devenir fou. Peur que personne ne nous vienne en aide.
On évite alors les transports en commun. Les places emplies de foule comme celles ou il n’y a pas un chat. Les ponts, les tunnels, les réunions professionnelles, en famille. Une coupe chez le coiffeur, une file d’attente quelconque. Le fait d’être seul chez soi.
Il existe autant de degrés de la maladie et de lieux qui deviennent impossibles à fréquenter que de personnes souffrant de cette peur. L’agoraphobie se déclare généralement entre 20 et 25 ans, et touche deux fois plus de femmes que d’hommes. « Cela commence toujours par une crise de panique dans un lieu particulier. Se met ensuite en place un système d’hypervigilance, une lecture d’insécurité du lieu à cause d’une vulnérabilité anxieuse» continue le Dr Boutges. Environ 60% des Français ont déjà connu une crise de panique. 4% de la population est atteinte d’agoraphobie.
Sur ces trente années à l’ombre, Catherine ne garde aucun regret. Elle a eu la chance contrairement à beaucoup d’agoraphobes, de s’épanouir professionnellement. Elle travaillait dans une entreprise familiale d’exportation de prêt-à-porter, à cinq minutes à pied de chez elle.
Pourtant, durant ces trente ans, elle n’a rien dit à ses proches ou à sa famille. D’abord parce qu’elle ne pouvait pas mettre de mot sur son mal. Avant les années 2000, l’agoraphobie restait encore peu connue. Toutes les phobies étaient baptisées « névroses d’angoisse », sans distinction. « Je ne disais rien car j’avais honte. On éprouve une culpabilité, on se dit qu’on est fou, ce qui nous empêche de demander de l’aide ». Sa vie personnelle en a beaucoup souffert.
Avouer sa peur à autrui est souvent un pas complexe. Le premier vers la libération. Beaucoup d’agoraphobes inventent mille subterfuges pour cacher leur peur aux autres, allant jusqu’au mensonge ou à la manipulation pour ne pas se rendre dans tel lieu, repousser une situation.
En effet, la vie devient réglée par ce qu’on appelle en psychologie l’évitement. Les lieux générateurs d’angoisse sont bannis. La perception de l’espace est modifiée, et devient une carte mentale personnelle avec des endroits, des situations à fuir à tout prix, des impasses. On s’enferme peu à peu mentalement pour se libérer physiquement.
Après 28 ans de maladie, Catherine a parlé de sa maladie à un médecin, et a pu guérir en deux ans grâce à une thérapie Rebirth, littéralement re-naissance. Verbalisation des problèmes, grand travail sur la respiration, cette technique lui a permis d’évacuer son sentiment de peur. Cependant, comme beaucoup de maladies psychologiques, il n’existe aucune recette miracle, aucune thérapie efficace à 100%.
Alice a 30 ans, elle est web designer à Paris, elle est aussi atteinte de la maladie. Elle a fondé le site internet Agorafolk, réseau social pour personnes atteintes d’agoraphobie.
Le site a ouvert en mai 2014. Il compte déjà une centaine d’inscrits à travers la France. Forums de discussion par ville, il se veut un lieu d’informations sur l’agoraphobie, mais surtout un outil de rencontres et d’échanges pour les agoraphobes sur les différentes thérapies essayées, les malaises éprouvés. « Il y a deux travaux à faire, explique Alice. Le premier avec un thérapeute, le second avec un semblable, quelqu’un qui souffre de la même chose que toi ».
Couleur orange pétante, bien agencé, agréable à l’œil, dynamique, le site est fréquenté par des jeunes, étendard de la « communauté des agoraphobes optimistes ! » comme l’affiche la doctrine en haut de la page. « Je voulais créer un site positif. Lire sur des forums des messages de personnes déprimées, qui sont dans la plainte sans arrêt par rapport à la maladie, c’est polluant, ça n’avance à rien ».
Alice modère les messages sur son site, et refuse d’y voir des laïus négatifs. « Je contacte les gens et je leur dis de modifier leur message. On ne va pas mentir, dire que tout va bien alors qu’on va mal. Mais on peut remplacer ces messages par des textes plus optimistes, où on ne se complaît pas dans le malheur ». La jeune femme a connu sa première crise d’angoisse en 2009, dans un bus. Les crises se succèdent. Les premiers temps, elle n’en parle pas. En 2010, elle arrête de se déplacer. Elle ne quittera plus Paris pendant trois ans.
Depuis deux ans, elle guérit peu à peu, même si elle connaît des rechutes parfois. Elle vient juste de changer de thérapeute, pour prendre quelqu’un spécialisé dans les TCC, les thérapies comportementales et cognitives. Même si elle a mis six mois à aller le voir, Alice espère que cette fois-ci la thérapie fonctionne, après avoir essayé l’auto-hypnose, la méthode Geert, ou la méthode américaine Stop Anxiety. Il existe quantité de thérapies différentes, dont certaines sont érigées en véritable business.
Aujourd’hui, les TCC sont les méthodes qui ont les meilleurs résultats pour soigner l’agoraphobie. Elles se concentrent sur le présent et sur l’action.
Ces thérapies consistent à prendre à rebours le fameux évitement pour imposer son contraire, l’exposition.
Le patient doit classer sur une échelle de 0 à 100 le potentiel angoissant de telle situation ou tel lieu. Il faut ensuite à s’y exposer, étape par étape, sans pousser à bout le malade, d’abord par visualisation puis sur le terrain.
Pour d’autres, la libération est dans la rupture totale. Quitter son quotidien, l’incompréhension des autres, apparaît la seule solution viable. Parfois le pas est brutal. « Au bout d’un moment, une révolte monte en vous. Je me suis fixée un objectif à court terme et j’ai franchi le cap » explique Séverine Chérix, agoraphobe pendant près de quinze ans. Cette Suisse de 39 ans est partie du jour au lendemain en Thaïlande sac au dos, voyager seule pendant un mois. Beaucoup de ses proches n’y ont pas cru, se sont inquiétés. Elle a fait quelques crises sur place, qu’elle a surmontées. C’était en 2010. Elle est revenue guérie. Pour elle, « il est plus facile de guérir loin de chez soi que chez soi. C’était un peu une échappatoire, le dernier recours. »
Aujourd’hui « boulimique de voyages », Séverine a changé de vie, trop à l’étroit dans une routine qui ne lui convenait plus. En 2014, elle a lancé deux sites internet. Le premier sur l’agoraphobie, pour diffuser un message d’espoir et des conseils.
Le second est un site sur ses voyages, et se veut à terme une agence de voyages virtuelle où elle propose bons plans et forfaits.
« La réponse c’est l’action. Aujourd’hui être libre, c’est mon créneau. »
Éléa Giraud, étudiante en journalisme à l’IJBA, l’école de Bordeaux
Passionnant cet article !!! Merci beaucoup !!! :)